EXPOSITION – STOP – SOUHAITE SUCCÈS

En janvier 1970, dans l’une des pages du texte Vers un Musée Français du Chemin de Fer, Michel Doerr et André Portefaix proposent un large tableau recensant les musées ferroviaires européens. Le constat est sans appel, alors que Mulhouse s’apprête à inaugurer son musée, des villes comme Hamar, York, Nuremberg, Madrid, Copenhague ou encore Belgrade possèdent déjà des musées de ce type. Pendant toute leur carrière muséale, Jean-Mathis Horrenberger et Michel Doerr n’auront ainsi de cesse de multiplier les échanges avec ces derniers. À titre d’exemple, le musée d’Utrecht, est convié dès 1971 à l’inauguration de la demi-rotonde.

Télégramme de réponse du musée ferroviaire d’Utrecht à l’inauguration du musée français du chemin de fer, 02 juillet 1971, Collection Cité du Train
Télégramme de réponse du musée ferroviaire d’Utrecht à l’inauguration du musée français du chemin de fer, 02 juillet 1971, Collection Cité du Train

Alors que la vie suit son cours dans la demi-rotonde, la presse locale, nationale et spécialisée consacre déjà des articles au futur musée définitif. À la manière d’une galerie des portraits, les unes ci-dessous vous permettent de vous replonger dans la chronique des travaux.

De béton et de lamellé-collé

Dès l’origine, l’architecte Pierre-Yves Schoen est informé par Jean-Mathis Horrenberger du projet mulhousien de Musée Français du Chemin de Fer. Il devient dès lors un acteur majeur de son histoire. En septembre 1967, une réunion organisée par le “Comité d’étude pour la création d’un MFCF à Mulhouse” permet ainsi de rappeler plusieurs points. Tout d’abord, un terrain au niveau du quartier de la Mer Rouge sera bien mis à disposition par la Ville de Mulhouse pour la construction du bâtiment définitif. Ce dernier, dont les plans sont déjà publiés dans l’un des Bulletins de la SIM, comprendra 35 voies permettant d’exposer plus de 100 matériels. À cela s’ajoutera une partie consacrée au modélisme ainsi qu’à l’équipement. L’idée de combiner cette première tranche avec la création d’un musée dédié aux sapeurs-pompiers est par ailleurs défendue.

Pierre-Yves Schoen (à gauche) et Michel Doerr (au centre), s.d., Collection Cité du Train
Pierre-Yves Schoen (à gauche) et Michel Doerr (au centre), s.d., Collection Cité du Train

Si l’atmosphère authentiquement ferroviaire rendue possible par une véritable rotonde est d’ores et déjà regrettée par certains membres et visiteurs, seule la construction ex nihilo d’un nouvel édifice permet un accueil organisé du public et l’extension de la collection. Ce cadre, qualifié d’”inhabituel” par l’architecte, renforce le caractère muséal de chaque pièce et offre la possibilité d’aménager un large parking et un restaurant. Bien que la construction de ces équipements de services tienne de l’évidence, concevoir un musée du train n’en est rien. En mai 1976, Pierre-Yves Schoen explique dans un article de la Revue Générale des Chemins de Fer qu’il s’agit dans un premier temps de songer à l’acheminement des matériels. Le musée ne peut donc être construit qu’en bordure d’une voie ferrée, complétée idéalement d’un pont tournant, d’un chariot transbordeur ou d’une plaque tournante. Trop onéreuses, ces solutions sont abandonnées et le bâtiment est agencé sur son terrain triangulaire de telle manière à pouvoir relier les voies internes à celles du Strasbourg-Mulhouse via un rayon à la courbure précisément calculée.

Pierre-Yves Schoen, Vue en plan du Musée Français du Chemin de Fer sur le site de Dornach, s.d., Collection Cité du Train, conservé aux Archives Municipales de Mulhouse
Pierre-Yves Schoen, Vue en plan du Musée Français du Chemin de Fer sur le site de Dornach, s.d., Collection Cité du Train, conservé aux Archives Municipales de Mulhouse

“À ces quelques contraintes dues au terrain, sont venues s’ajouter celles que je croyais connaître et dont j’effleurais à peine l’importance. Je pense aux contraintes dues à l’objet du programme : les chemins de fer. Pour exposer un véhicule, il faut compter 22 m x 9 m, soit environ 200 m². Pour ne pas “étouffer l’objet” la hauteur du local doit se situer aux environs de 9 m. Le local doit être clair, afin de pouvoir y faire des photographies; le visiteur doit pouvoir tout observer, dessus, dessous, de côté, mais il faut éviter qu’il puisse “toucher”. Voici donc esquissé rapidement le programme du local d’exposition.”

Pierre-Yves Schoen, document dactylographié, avant l’été 1971, Collection Cité du Train

Pierre-Yves Schoen, plan du bâtiment A, façades, août 1974, modifié le 24 mars 1976, Collection Cité du Train
Pierre-Yves Schoen, plan du bâtiment A, façades, août 1974, modifié le 24 mars 1976, Collection Cité du Train

À l’intérieur du bâtiment, les enjeux de conservation et de visite sont par ailleurs savamment étudiés. À la contrainte liée à la taille des trains, s’ajoute celle de la photographie. Bien avant l’ère des smartphones et des réseaux sociaux, il est déjà clair que le visiteur ne peut repartir sans sa photo souvenir. L’espace doit par conséquent être clair et large. La solution “économique et élégante”. Les matériaux sont sélectionnés avec soin : l’acier, le bois et le béton sont privilégiés. À titre d’exemple, les arcs qui supportent la couverture sont conçus à partir du principe du bois lamellé-collé.

Dans une lettre adressée en novembre 1969 à Michel Doerr, Pierre-Yves Schoen présente ce procédé comme idéal, permettant en effet de “grandes portées sans point d’appui, l’implantation des poteaux à n’importe quel endroit et l’accrochage des passerelles en un point quelconque de la charpente.” Les poteaux et poutres principales sont quant à eux fabriqués en béton armé. Sur la façade, le revêtement est constitué de gravillons du Rhin.

“Ici sera édifié LE MUSÉE FRANÇAIS DU CHEMIN DE FER”

Temps fort de l’histoire du musée, la pose de la première pierre permet de lancer officiellement la phase travaux. Gérée par l’entreprise locale SAVONITTO, l’organisation de cet événement consiste d’abord en un dégagement, nettoyage et décapage de la zone. Un bloc composé d’”une pierre en béton moulé” est par ailleurs réalisé. C’est à l’intérieur que sera glissé un parchemin adressé à la postérité lors de la cérémonie du 29 juin 1974. Signé autour d’un repas organisé au restaurant du Zoo de Mulhouse, ce document, retrouvé lors des travaux des années 2000, est bien arrivé jusqu’à nous.

Photographie issue de l’article Pose de la première pierre : Rendez-vous dans deux ans pour l’inauguration du Musée des chemins de fer à Mulhouse, in les DNA, 01 juillet 1974, Collection Cité du Train
Photo issue de l’article Pose de la première pierre : Rendez-vous dans deux ans pour l’inauguration du Musée des chemins de fer à Mulhouse, in les DNA, 01 juillet 1974, Collection Cité du Train

Éditer
la collection

En avril 1975, le catalogue de la collection de l’exposition transitoire de Mulhouse-Nord sort en librairie. Richement illustré de dessins de Michel Lamarche et de E.A Scheffer, ce recueil se caractérise par son graphisme original valorisant la collection. Il est également l’occasion de rappeler brièvement l’histoire du chemin de fer et celle du musée. Les textes, concis, témoignent de la volonté de s’adresser à un large public. Acquis par la Cité du Train en 2019, une version signée en juillet 1975 de la main de Michel Doerr se révèle être un émouvant clin d’œil à l’avenir. L’ancien Directeur en est certain, ce document deviendra quelques années plus tard un véritable “Alsatique”.

Collectif, Musée Français du Chemin de Fer, exposition transitoire de Mulhouse-Nord, Catalogue, avril 1975, Collection Cité du Train
Collectif, Musée Français du Chemin de Fer, exposition transitoire de Mulhouse-Nord, Catalogue, avril 1975, Collection Cité du Train

“On a l’habitude en France de croire que le Public est assez peu perméable aux choses du rail qu’il considère comme un instrument appartenant au passé ; lorsque cependant on a vu que les visiteurs se bousculent pour admirer de près les engins exposés, pour monter dans les cabines, pour tirer sur le régulateur, pour manœuvrer le contrôleur, on est en droit de se demander si ce même public se désintéresse vraiment de la question ou bien si cette indifférence n’est pas née de l’absence d’occasion propre à exercer sa curiosité…”

Chemins de fer, n°134, mai-juin 1945, p.70

“Je l’accompagnerai au musée…

Locomotive à vapeur, extrait de l’émission Les infos spécial vacances du 05 septembre 1975, France Régions 3 Limoges et TF1, vidéo INA

En juillet 1974, dans un mot adressé aux fondateurs du MFCF, un membre de l’association s’interroge : quand sera exposée la locomotive 232 U 1 ? Que l’auteur de cette lettre se rassure : cette locomotive, chef-d’œuvre de l’ingénieur Marc de Caso, termine sa remise en beauté auprès des cheminots des ateliers de Thouars et sera visible au public dans le futur musée. Diffusé pour la première fois en novembre 1975, le film ci-dessus permet de se plonger dans les coulisses de ce chantier long de deux ans.

Astiquée et peinte, la 232 U 1 porte en elle un tout un pan de l’histoire ferroviaire et muséale. Dès 1976, sous les armatures flambant neuves du nouveau musée et grâce à l’appui technique de la SNCF, cette machine parvient à se mettre en mouvement sans se déplacer. Près de cinquante ans plus tard, cette animation est encore visible au musée.

Visite virtuelle

Station to station

Le musée du chemin de fer à Mulhouse, extrait de l’émission Expression du 29 décembre 1982, France 3 Régions Besançon, vidéo INA

1976. Sur la face A de l’album éponyme de David Bowie, la chanson Station to Station débute par le son d’un train en marche. Loin de Los Angeles, entre Mulhouse-Nord et Dornach, cette mécanique mélodie résonne de manière symbolique. En vue de l’ouverture sur le site définitif, les derniers matériels roulants quittent la demi-rotonde. La fin d’une aventure ? Non ! Le début d’un nouveau chapitre, et surtout l’entrée dans une nouvelle décennie : celle des années 80.

Dans une lettre adressée le 20 mai 1976 à André Portefaix, Michel Doerr remercie son interlocuteur des “merveilleuses photos” apportées par Monsieur Naudot qui “constituent un extraordinaire souvenir de cette Rotonde que nous sommes en train de quitter”. Se rapprochant un peu plus des Vosges, le Musée Français du Chemin de Fer s’ôte de son statut provisoire pour devenir durable. Et entre les murs dorénavant nus du dépôt, on peut entendre “Here are we, one magical moment, such is the stuff, from where dreams are woven”. (“Nous voici, un moment magique, telle est l’étoffe, dont sont tissés les rêves”.)

Prochain arrêt :

Inscrivez-vous à notre Newsletter

Et restez informés des actualités liées aux 50 ans de la Cité du Train