C’est le nombre de visiteurs qui découvrent l’exposition transitoire de la demi-rotonde de Mulhouse-Nord entre son ouverture au public le 12 juin 1971 et son emménagement définitif dans le quartier de Dornach en 1976.
À Mulhouse,
le train enfin exposé
12 juin 1971. 10H. Le Musée Français du Chemin de Fer ouvre enfin ses portes. Dès la première heure, 82 personnes découvrent l’exposition transitoire de Mulhouse-Nord. Ce nombre ne fait qu’augmenter au fil de la journée. Et pourtant, la concurrence est rude : à la télévision, les 24H du Mans débutent en fanfare ! Train ou automobile, il faut choisir. Comme le rapporte un journaliste de L’Alsace dans l’édition du 13 juin, ce sont pourtant deux chauffeurs-routiers, Messieurs Frey et Woelfel, qui s’illustrent comme les tout premiers visiteurs ; toujours sous l’œil attentif de Michel Doerr, dont “l’imperméable bleu flott[e] au vent”.
Pour certains, la découverte de ce nouveau lieu culturel constitue une expérience inédite. Une fois garé le long de la rue Josué Hofer ou au sein du parking du dépôt, il s’agit d’abord d’emprunter une passerelle surplombant les lignes de circulation de marchandises. Au loin, la demi-rotonde indiquant en lettres rouges et capitales sa nature muséale s’offre alors au regard du visiteur curieux et déterminé.
Le 19 juin, le journal L’Alsace souligne en effet que l’accès n’est pas aisé pour celui qui ignore les coulisses du milieu ferroviaire mulhousien. Un plan d’accès est alors republié. Ce défaut initial de communication n’est pourtant que passager. Dès cet instant, l’équipe du musée multiplie les panneaux, “distribution de tracts” et liens avec le syndicat d’initiative de Mulhouse, la presse locale, nationale et internationale. À titre d’exemple, cinq mois plus tard, en octobre 1971, 130 journalistes allemands ont déjà visité le musée. Ce dernier, bien que non définitif, se doit de marquer les esprits.
000001
Redécouvert au sein d’une liasse d’archives, le premier ticket du musée (numéroté 000001) tient presque de la relique. Au-delà de son aspect symbolique, il permet également de s’interroger : un élément relatif à l’histoire d’un musée peut-il à son tour devenir une pièce muséale ? Une chose est certaine, ce petit morceau de papier de 5,7 par 3 cm, n’a pas été produit de manière hasardeuse. Son format, son grammage, sa couleur et sa police font en effet référence aux anciens tickets de chemin de fer. Poinçonné à l’entrée de la demi-rotonde, cet élément plonge immédiatement le visiteur dans un univers résolument ferroviaire. Dans ce contexte, force est de constater que la tarification est un sujet central qui fait l’objet de nombreux échanges dès les prémices de l’établissement. Dans le premier bulletin du musée publié le 4 juin 1971, il est déjà question de proposer un tarif réduit pour les jeunes de 6 à 15 ans et la gratuité pour les membres de l’association. En novembre 1971, le bulletin n°2 informe les adhérents de l’association “qu’à l’instigation de la Ville de Mulhouse, il a été décidé de créer un tarif spécial à l’intention des élèves des écoles de toute nature visitant le musée en groupe (minimum 10 participants) sous la conduite de leur maître”. Au fil des ans, et face aux coûts d’exploitation grandissants, le prix des entrées augmente cependant. Entre 1971 et 1974, le plein tarif passe ainsi de 3 à 5 francs et le tarif réduit de 2 à 3 francs. Simultanément, les catégories de visiteurs éligibles à la gratuité s’élargissent. Agents de la SNCF et de la CIWLT peuvent notamment en bénéficier.
Entretenir
et accueillir
Une fois passée la guérite de caisse, les visiteurs sont invités à entrer dans la demi-rotonde A de Mulhouse-Nord. Construit en 1923, ce bâtiment rayonnant voit défiler des locomotives à vapeur 141 R jusqu’en 1970. En septembre de cette même année, l’électrification de la ligne Mulhouse-Belfort rend cependant cet ensemble obsolète. Nettoyé de sa noirceur, la demi-rotonde composée de 14 voies se profile dès lors comme une solution provisoire idéale. Les rideaux métalliques individuels entre les voies et le pont tournant participent par ailleurs à la sûreté des objets conservés. Mais comme le rappelle Michel Doerr dans l’une de ses correspondances, la nouvelle fonction muséale du bâtiment ne peut s’établir sans quelques transformations préalables. L’installation de l’accueil (une ancienne guérite de garde-barrière) et des WC (à l’intérieur d’une voiture de voyageurs) symbolise cela. Car le musée n’est pas pensé simplement en tant qu’ »échantillonnage » de matériels roulants mais également en lieu d’accueil du public.
Entretenir et accueillir semblent être les maîtres-mots de l’institution dès son ouverture. Michel Doerr, soucieux de recruter une équipe pour l’entretien des matériels, souligne la nécessité de s’accompagner d’un personnel à temps complet, de jour comme de nuit, été comme hiver. Dans une note manuscrite adressée à Jean-Mathis Horrenberger, le Directeur calcule en effet qu’il faut “8h de main d’œuvre hebdomadaire sur chaque engin soit 96h pour 12 machines”. À cela s’ajoute le recrutement d’agents pour le gardiennage, le secrétariat, la vente, la bonne tenue des sanitaires et le guidage lors des visites pour les groupes et les scolaires, toujours plus nombreux.
“Le problème majeur à résoudre consiste dans le recrutement de collaborateurs indispensables pour assurer :
– l’accueil correct des visiteurs et la surveillance pendant les heures de visite,[…] et ceci sans négliger l’attrait commercial supposant la mise en place de stands pour la vente de souvenirs, documents, cartes postales, diapositives et gadgets divers […]
– l’entretien des grosses pièces de matériel et des lieux. […]”
– Michel Doerr in Musée Français du Chemin de Fer, numéro spécial du Bulletin trimestriel de la Société Industrielle de Mulhouse, n°3, 1971
Les premiers matériels roulants du musée et partenariats
Alors que certains matériels poursuivent leur restauration dans les Ateliers SNCF, d’autres entrent en scène. C’est le cas de la locomotive Forquenot, qui, en novembre 1971, s’avance sereinement vers la demi-rotonde, masquée par une protection de polyvinyle. Répartis sur 14 voies, les premiers matériels roulants du musée sont listés quelques mois plus tard au sein d’un document intitulé “description sommaire des matériels exposés sous la rotonde (de gauche à droite en entrant)”. Pour chaque locomotive, sont précisés succinctement des éléments relatifs à la masse en service, le diamètre de la roue motrice, la vitesse et le lieu de restauration. Cette liste primitive permet également de rappeler les partenariats menés avec l’AMTUIR ou la CIWLT. Le Diagramme des locomotives, quant à lui proposé à la vente donne un aperçu stylisé des profils de chaque engin. Publié trois ans plus tard en 1974, le feuillet ci-dessous, n’est pas sans rappeler l’esthétique des planches d’histoire naturelle. Vivante, la collection est en effet en constante évolution.
Une muséographie “unique en son genre”
Dans les textes contemporains à l’exposition provisoire de Mulhouse-Nord, la question de la muséographie est récurrente. L’enjeu est en effet de taille : il s’agit d’exposer des éléments imposants de manière à la fois scientifique et ludique. Pour Michel Doerr, la présentation se doit par ailleurs d’être “unique en son genre” et “aérée”. La place restreinte imposée par la demi-rotonde contraint par conséquent les créateurs du musée à faire face à des choix cornéliens. Ces derniers sont notamment dictés par des problématiques liées à la conservation préventive. Certaines voitures, jugées trop fragiles, sont ainsi réservées au futur musée définitif : c’est notamment le cas de la voiture A 151 Nord.
S’il est admissible d’exposer des locomotives à vapeur sous une rotonde de dépôt, c’est, par contre, un abri relativement précaire pour des pièces notablement plus délicates et demandant un entretien plus poussé. Eu égard à des considérations de bonne conservation, il n’a pas été jugé désirable de présenter à Mulhouse-Nord certaines voitures anciennes déjà minutieusement restaurées par les ateliers de Romilly où elles demeureront provisoirement dans des conditions meilleures (halles parfaitement étanches, maintenues en températures l’hiver d’où un degré hygrométrique correct, etc.).
– Michel Doerr in Musée Français du Chemin de fer, numéro spécial du Bulletin trimestriel de la Société Industrielle de Mulhouse, n°3, 1971