Un abri
chalonnais

Le déclin de la vapeur ne concerne pas seulement les “roulants”. Il s’accompagne également de la diminution, et dans certains cas, de la requalification de l’activité des ateliers et des dépôts ferroviaires. Permettant de garer les matériels, ces derniers s’imposent comme des structures architecturales complexes. Rotondes, ponts tournants, fosses, magasins de combustibles, eau, sable sont autant d’éléments qui composent ces bâtiments hérités des premières compagnies. C’est le cas du dépôt de Châtenoy-le-Royal près de Chalon-sur-Saône qui, dans les années 50, se voit confier une nouvelle fonction : celle de conserver les matériels roulants historiques qui rejoindront le musée vingt ans plus tard.

Michel Lamarche, Locomotive Pacific Chapelon Nord au dépôt de La Chapelle vers 1936
Michel Lamarche, Locomotive Pacific Chapelon Nord au dépôt de La Chapelle vers 1936, 1936, huile sur papier, 64 cm x 90 cm, Collection Cité du Train

Genèse d’un
inventaire

C’est en 1961 que Michel Doerr (1919-1995), communique une “liste du matériel rassemblé au dépôt de Chalon-sur-Saône en vue de la création d’un musée des chemins de fer”. Soixante ans après sa rédaction, ce document décrivant les matériels préservés au titre du patrimoine par la Direction du Matériel de la SNCF, s’impose comme un véritable objet patrimonial. Posant les bases du futur musée, il témoigne également de l’engagement d’un homme expert ferroviaire et artiste singulier qui, selon l’écrivain et journaliste Jean des Cars, a réussi à constituer “l’une des plus belles collections au monde”. C’est afin de valoriser cette dernière que dès 1964, celui que l’on surnomme parfois “l’ami Doerr”, prend l’initiative de contacter André Malraux, alors ministre de la Culture. La manière de présenter sa démarche comme “insolite” n’est pas anodine. Le tout jeune ministère de la rue de Valois, créé cinq ans plus tôt en 1959, choisit en effet à cette époque d’orienter ses efforts vers les musées artistiques. Le Ministère des Transports s’imposera dès lors comme le premier partenaire étatique.

Châtenoy-le-national, près Chalon-sur-Saône -Les rotondes, s.d., carte postale, Collection Cité du Train
Châtenoy-le-national, près Chalon-sur-Saône -Les rotondes, s.d., carte postale, Collection Cité du Train

Chemins de fer d’hier… Pour un Musée ferroviaire français

“Les musées de peinture n’ont jamais signifié la mort de la peinture, pas plus que ceux consacrés à la porcelaine et à toute autre manifestation du génie de l’homme; leur rôle essentiel est de montrer aux générations qui les visitent ce qu’elles doivent à celles qui les ont précédées. Il n’en ira pas autrement d’un Musée des Chemins de Fer, qui prouvera par des faits tangibles comment s’allient la continuité des principes et des réalisations dans l’évolution d’un chemin de fer toujours plus efficace, aux mutations presque périodiques, qu’apportent les progrès d’une technique en perpétuel renouvellement.”

Daniel Caire
rédacteur en chef de l’AFAC, 1965

1965 marque un tournant dans le projet de création d’un musée français dédié au chemin de fer. C’est en effet cette année que l’AFAC publie un catalogue composé de “notices historiques sur le matériel rassemblé en vue de la création d’un Musée des Chemins de Fer”. Rédigé par Michel Doerr, ce texte valorise les 37 locomotives, voitures et wagons alors préservés à Chalon-sur-Saône. Dans son avant-propos, Daniel Caire, rédacteur en chef de l’AFAC, pose les jalons d’une pensée indéfectible : le patrimoine ferroviaire, à la fois humain, artistique et technique, est en perpétuel mutation. Dans ce cadre, comment conserver, exposer et valoriser une collection en mouvement ?

Cinq ans plus tard, en 1970, dans un texte extrait de la revue Equipement-Logement-Transport intitulé “Vers un Musée Français du Chemin de Fer,” Michel Doerr et André Portefaix, Ingénieur en chef à la SNCF, proposent de premiers éléments de réponse. Pour les deux hommes, “[…] c’est au musée qu’il faut penser, et d’autant plus que les progrès de la muséologie permettent d’unir efficacement l’attrait du spectacle et la richesse de l’information”.

Un lecteur d’exception :
Jean-Mathis HORRENBERGER (1929-2012)

Regards sur les musées de France
Joannick Desclercs, Regards sur les musées de France : les grands trains immobiles le long de notre mémoire, 18 février 1980, TF1, vidéo INA

Publié en 1997, l’ouvrage intitulé Le Musée Français du Chemin de Fer : une utopie devenue réalité, constitue un témoignage précieux sur la vie de son auteur, Jean-Mathis Horrenberger. Ce dernier y rappelle son enfance thannoise, rythmée par les voyages à bord de voitures rustiques traversant l’Alsace. Il y décrit surtout son premier choc esthétique survenu une nuit de 1936 en gare de Marseille Saint-Charles lors de l’arrivée à quai d’une locomotive Mountain 241. Il a alors sept ans, les congés payés sont décrétés.

De cet instant suspendu naîtra ce qu’Horrenberger n’hésite pas à qualifier de “virus” : celui du chemin de fer. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’adolescent devenu ensuite dirigeant d’une usine textile alsacienne, se nourrit de la lecture de La Vie du Rail et rêve d’adhérer à l’AFAC dont le rédacteur en chef, Daniel Caire, s’impose à lui comme une figure tutélaire. La publication du catalogue de 1965 sert dès lors d’élément déclencheur à ce qui deviendra par la suite une véritable épopée muséale.

L’évidence
mulhousienne

Neuf mois après la lecture du catalogue de l’AFAC, Jean-Mathis Horrenberger contacte officiellement son Président, Georges Manas. Neuf mois de gestation permettant d’accoucher sur le papier d’un projet abouti et résolument alsacien. Son riche passé industriel et ferroviaire ainsi que son positionnement au carrefour de l’Europe font de la cité du Bollwerk une ville idéale pour l’implantation d’un musée consacré aux chemins de fer. Le comité provisoire de défense du projet mulhousien porté par la SIM, d’ores et déjà composé de personnalités locales et de membres de la SNCF, s’impose dès lors comme un argument supplémentaire : la “maison du moulin” sera également celle du train.

Lettre de Jean-Mathis Horrenberger à Georges Manas, 20 octobre 1965, Collection Cité du Train
Lettre de Jean-Mathis Horrenberger à Georges Manas, 20 octobre 1965, Collection Cité du Train

De la saône
à la doller

Fin mai 1966. À presque 300 kilomètres de Mulhouse, le projet s’accélère. Au cœur de la Rotonde de Chalon-sur-Saône, une rencontre historique a lieu entre trois hommes : Michel Doerr, Daniel Caire et Jean-Mathis Horrenberger. Charles Baschung, journaliste de L’Alsace, spécialement dépêché pour l’occasion relate dans la presse ce rendez-vous au caractère presque cinématographique. Le suspens est en effet à son comble. Mulhouse sera-t-elle sélectionnée ? Car le temps presse et d’autres villes telles que Bordeaux, Compiègne, Reims ou encore Saint-Savin-Sur-Gartempe poussent simultanément leur candidature. Dans ses mémoires, Jean-Mathis Horrenberger fait par ailleurs état de sa stupeur d’alors : certains matériels sont dans un état de détérioration extrême. Le rêve ne pourra se concrétiser sans un important effort financier. Dans ce contexte, les appuis politiques au plus haut sommet de l’Etat s’imposent plus que jamais nécessaires.

Photographie issue de l’article
Photographie issue de l’article « Elles iront au musée mais où et quand ? » présentant Jean-Mathis Horrenberger, Michel Doerr et Daniel Caire, journal L’Alsace, 28 mai 1966, Collection Cité du Train

Les appuis
politiques

Le 28 juillet 1969, l’information tombe : la SNCF valide le projet mulhousien. Ces quelques mots imprimés dans les Dernières Nouvelles d’Alsace symbolisent l’aboutissement d’années de négociations. En témoigne cette sélection de correspondances inédites issues du fonds d’archives de la Cité du Train.

La SNCF approuve la création du musée du chemin de fer à Mulhouse, article issu du journal Dernières Nouvelles d’Alsace, 28 juillet 1969
La SNCF approuve la création du musée du chemin de fer à Mulhouse, article issu du journal Dernières Nouvelles d’Alsace, 28 juillet 1969, Collection Cité du Train