Au pied de
la Tour Eiffel,
le chemin de fer intérieur
“Mais si la Tour [Eiffel n.d.l.r.] et ses avoisinements font évoquer l’idée de jouets amoncelés en un bazar polychrome, on peut dire que c’est à cause même de cela que l’Exposition a pris ce caractère jovial, bon enfant et enfant, qui donne à tout un air de vacances et de congé, durant lesquels les foules réussissent à oublier les pensums de l’existence et les pénitences de la destinée. Je faisais ces réflexions, en constatant par quel succès a été accueilli ce petit chemin de fer à voie étroite, le “Decauville”, comme on dit, qui, franchement, regardez-le passer-est tout pareil à un jouet qui marche”.
– Emile Goudeau, 1889, dans la Revue de l’Exposition universelle de 1889
Lors de l’Exposition de 1889, la classe 61 dédiée aux “matériels des chemins de fer” trouve sa place au sein de deux galeries principales complétées de quatre larges espaces. Voies et ponts tournants jalonnent cette surface ferroviaire. Le long de l’Avenue de Suresnes, une partie du chemin de fer intérieur dit “Decauville” permet de desservir restaurants et pavillons. Longue de trois kilomètres, cette structure imaginée par Adolphe Alphand joue un rôle primordial dans la découverte de l’exposition. Les gravures, cartes postales et photographies éditées cette année-là permettent de mesurer aisément le succès de cette voie étroite. Emprunté par un public international, le système Decauville confirme alors son efficacité et accélère la mode du “petit train”, encore largement plébiscité par les visiteurs actuels de la Cité du Train.
Pour Maurice Bixio, rédacteur de l’introduction de la Notice sur l’Exposition centennale des moyens de transport de 1900, “le XIXe siècle est certainement celui qui a vu se produire le plus colossal développement des moyens de parcourir la terre, soit dans une ville, soit dans un pays, soit dans le monde entier.”
Le musée rétrospectif de 1900
En 1900, non loin du Château d’eau du Champs-de-Mars, au sein du Palais des Transports, la classe 32 consacrée aux chemins de fer et aux tramways se confronte à la carrosserie, à la sellerie, à la navigation de commerce et à l’aérostation. Complétant les éléments techniques, tableaux, gravures et photographies sont également exposés. Dans les textes contemporains, le terme de “musée rétrospectif” est ainsi employé à de multiples reprises. Dans ce contexte, il est précisé que le modèle de la première locomotive à chaudière tubulaire de ligne Saint-Étienne à Lyon est “obligeamment” prêté par les Arts et Métiers. À proximité, sur les cimaises, entre les armatures métalliques, vitrines et cadres se multiplient. L’objectif est alors de “former un ensemble plus attrayant à l’œil” et “d’intéresser le public, autant par le côté amusant que par le côté instructif.” Cent ans avant la publication de la Loi Musée de 2002 et de son article L. 410.-1, les notions de “connaissances, éducation et plaisir du public” sont déjà posées.
L’Annexe de Vincennes
Mais le Champs-de-Mars ne suffit pas pour abriter l’ensemble des matériels ferroviaires. Émanant de nombreux pays, les propositions se multiplient et il faut pouvoir accueillir l’ensemble des exposants. C’est dans ce contexte qu’est construite l’Annexe du bois de Vincennes où est notamment exposée une BB 1280 ou “boîte à sel”, première locomotive électrique dont un modèle est aujourd’hui exposé à la Cité du Train.
La coupe-vent, un fantasme industriel
“J’étais amoureux de douze locomotives à vapeur. ces ravissants engins, en 1905 ; étaient déjà aérodynamiques. C’étaient les magnifiques coupe-vent du PLM. Elles sont restées célèbres dans l’histoire du rail. Elles sont classées parmi les locomotives les plus harmonieuses qui aient jamais été construites et elles eurent une influence certaine sur ma vie tout entière. Je rôdais autour du dépôt et, bientôt, je devins très copain avec les équipes. Je leur apportais des cigarettes Caporal et quelquefois, des cigares.”
– Raymond Loewy, La Laideur se vend mal, 1965
1900. Les recherches liées à l’aérodynamisme font leur entrée dans le monde ferroviaire. Les nez des locomotives 220 C du PLM, rebaptisées “coupe-vent”, témoignent de ce mouvement.
En 1965, l’hommage qui leur est rendu par le célèbre designer Raymond Loewy dans son ouvrage La Laideur se vend mal élève ces matériels roulants au rang de véritables objets de design.
« Nous ne saurions terminer ces lignes sans nous faire les interprètes du vœu général que nous avons recueilli de la bouche des visiteurs. L’Exposition rétrospective des moyens de transport a eu incontestablement un très grand succès, et nous avons entendu maintes et maintes fois exprimé le regret qu’on n’ait point encore organisé un Musée permanent qui pourrait être intéressant. »
– Maurice Bixio, Introduction à la Notice sur l’Exposition centennale des moyens de transport, 1901
Synthèse d’une réflexion patrimoniale en marche dès les débuts du chemin de fer, cette citation de Maurice Bixio confirme une nécessité : celle de conserver et de valoriser le patrimoine ferroviaire, emblème de progrès technique, d’inspiration artistique et d’histoire collective. Soixante-quinze ans après, alors que les plus anciens se souviennent de 1900, les enfants eux rêvent de l’an 2000.