NAISSANCE D’UN
PATRIMOINE FERROVIAIRE

1825-1900

Le XIXe siècle est celui du chemin de fer. Au bord des voies, dans les allées des Expositions universelles, les arts et la presse, le public découvre peu à peu la richesse de ce nouveau patrimoine ferroviaire.

L’exposition universelle de 1900, Antenne 2 Midi, 27 juillet 1983, vidéo INA
Allégret Marc, Rouch Jean, Chabalier Hervé, Les films du jeudi, L’exposition universelle de 1900, Antenne 2 Midi, 27 juillet 1983, vidéo INA

Paris. 1900. Une étrange invention fait son apparition : il s’agit du trottoir roulant, également appelé “rue de l’Avenir”. Véritable attraction, ce mécanisme aérien ne peut cependant rivaliser avec son grand-frère souterrain, le métropolitain. Inaugurée dans le cadre de l’Exposition universelle de 1900, la première ligne de métro permet de relier la Porte Maillot à la Porte de Vincennes. À la sortie de cette station, la foule se presse. Construit non loin du lac Daumesnil, le grand pavillon des “matériels de chemins de fer” expose locomotives, voitures et wagons venus du monde entier.

À l’aube du XXe siècle, l’utilité du chemin de fer n’est plus à démontrer. Objet du quotidien, il s’impose déjà comme un personnage récurrent du domaine artistique. A la fin de l’Exposition de 1900, Maurice Bixio, Directeur de la Compagnie Générale des Voitures à Paris, l’affirme : la France doit se doter d’un “musée permanent” des moyens de transport. Cette intervention, souvent considérée dans l’historiographie comme le point de départ de l’aventure du Musée Français du Chemin de Fer de Mulhouse, peut être par ailleurs considérée comme l’aboutissement d’une réflexion patrimoniale en marche dès les débuts de la vapeur.

1839

La ligne de chemin de fer reliant Mulhouse à Thann est inaugurée le 1er septembre 1839. 130 ans plus tard, en 1969, la Cité du Bollwerk est dans ce contexte sélectionnée afin d’abriter le Musée Français du Chemin de Fer.

Un spectacle
ferroviaire

Où commence l’histoire ferroviaire ? Si l’on est tenté de revenir aux premiers traîneaux de l’Egypte ancienne, aux voies romaines à ornières ou aux rails en bois du Moyen Âge et de la Renaissance, le XIXe siècle s’impose comme l’âge d’or du chemin de fer.
“M’attrape qui peut” ou “catch me who can” est dans ce contexte désignée comme la première locomotive à vapeur de démonstration.
Créée par le britannique Richard Trevithick, cette machine à quatre roues est présentée au public londonien en 1808. Roulant sur un chemin circulaire de 200 mètres, la “machine de Trevithick” atteint alors les 20 km/h. A l’ombre des palissades, le public, venu en nombre et ôté de cinq shillings, assiste à ce spectacle inattendu. Alors que les plus téméraires montent sur l’unique wagon, l’inventeur, bientôt ruiné, n’a qu’une seule certitude, il ne s’agit là que d’une attraction anticipant ce qui deviendra par la suite l’une des plus grandes inventions de la période contemporaine : celle du transport ferroviaire.

Anonyme, Le chemin de fer et la locomotive Catch me who can de Trevithick, à Londres, en 1808, dessin exécuté vers 1837
Anonyme, Le chemin de fer et la locomotive Catch me who can de Trevithick, à Londres, en 1808, dessin exécuté vers 1837, in Histoire de la locomotion terrestre : les chemins de fer de Charles Dollfus et Edgar de Geoffroy, 1935, p.7, Collection Cité du Train

“Une légère esquisse
de l’histoire”

Créé en 1833, Le Musée des Familles, Lecture du Soir se propose de dispenser “un cours complet d’instruction familière, amusante, variée, à la portée de tous”. S’adressant à un large lectorat, ce périodique richement illustré choisit de consacrer l’un de ses premiers articles aux chemins de fer. Après avoir précisé que ces derniers sont encore “peu connus en France”, le rédacteur s’attache à décrire le développement du transport ferroviaire de marchandises à partir de deux exemples : la ligne anglaise entre Manchester et Liverpool (1830) ainsi que celle de Saint-Étienne à Andrézieux (1827). Les gravures pittoresques, complétées de schémas techniques, permettent ainsi aux abonnés de découvrir ce qui est alors présenté comme un mode de transport en devenir. En effet, si l’Angleterre a d’ores et déjà inauguré sa première ligne voyageurs entre Stockton et Darlington (1825), la France poursuit ses travaux, menés notamment par les frères Seguin.

Engelmann père et fils, Chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne, 1839, lithographie en couleurs, SARDO Centre national des archives historiques SNCF, Droits réservés
Engelmann père et fils, Chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne, 1839, lithographie en couleurs, SARDO Centre national des archives historiques SNCF, Droits réservés

Le mystère
du mouvement

“Il est assez triste de penser que parmi les milliers de personnes qui font chaque jour le trajet de Paris à Saint-Germain, une vingtaine au plus peut-être ont pris la peine d’étudier le mystère du mouvement qui les emporte, et sont en état d’en parler avec quelque clarté. […] L’administration ne pourrait-elle pas, de son côté, stimuler et encourager sous ce rapport la curiosité publique ? Chaque fois qu’une machine nouvelle, importante, est acceptée par la science et l’industrie, n’y aurait-il pas utilité à en donner une explication publique, tous les dimanches, dans un local spécial, par exemple dans le Conservatoire des arts et métiers ?”

Le Magasin Pittoresque, 1837

1835. Pour la première fois sont édités les Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences. Impulsée par le chercheur François Arago, cette publication permet d’offrir aux lecteurs une revue précise de l’actualité et des débats scientifiques en cours. Huit ans après la création de la ligne de Saint-Étienne à Andrézieux en 1827, la lecture de ces textes est révélatrice des échanges qui animent la communauté scientifique. Si les traités consacrés à la vapeur se multiplient, ils semblent cependant rester réservés à une élite.
Ainsi, en 1837, au lendemain de l’inauguration de la première ligne française voyageurs entre Paris et Saint-Germain-en-Laye, un journaliste du Magasin Pittoresque déplore la méconnaissance persistante du public quant au fonctionnement des locomotives à vapeur. Il défend dans ce contexte la mise en place de sessions d’”explications publiques” au Conservatoire des Arts et Métiers.

L’entrée au
conservatoire

Créé en 1794 par l’abbé Grégoire, le Conservatoire National des Arts et Métiers conserve et valorise une riche collection dédiée au domaine ferroviaire. Dans son ouvrage publié en 2007 intitulé L’amphithéâtre, la galerie et le rail, Lionel Dufaux rappelle que la première acquisition relative aux chemins de fer intervient dès 1824. L’étude des inventaires, catalogues et dossiers de récolement datant du XIXe siècle révèle par ailleurs que la collection ferroviaire se développe de manière significative sous la monarchie de Juillet. En 1843, les rédacteurs du Magasin Pittoresque narrent ainsi la visite faite au sein de l’établissement : au cœur de la Grande Galerie, des modèles de rails et des écorchés de locomotives au format 1/5e permettent de découvrir le fonctionnement de la vapeur. Dix ans plus tard, le 28 janvier 1853, dans une correspondance valorisée par Lionel Dufaux, Théodore Olivier, ancien directeur du musée, insiste sur la principale problématique liée à l’exposition de matériels roulants échelle 1. D’après lui : “[…] la superficie de Paris ne suffirait pas dans quelques années pour loger tous ces modèles nouveaux que rêvent certains de mes collègues.”

Embarcadère de Paris pour Saint-Germain en 1837
Anonyme, Embarcadère de Paris pour Saint-Germain en 1837, in Histoire de la locomotion terrestre : les chemins de fer de Charles Dollfus et Edgar de Geoffroy, 1935, p.43, Collection Cité du Train

Un chemin de fer
alsacien

Alors que l’institution parisienne poursuit l’enrichissement de sa collection ferroviaire, l’Alsace découvre à son tour le chemin de fer. En 1839, l’inauguration de la ligne Mulhouse-Thann marque une étape importante dans le développement du transport de voyageurs. Fruit de l’ambitieux projet de Nicolas Koechlin, cet événement attire les foules. Chapeaux haut de forme, crinoline et ombrelles se fondent dans un décor mêlant montagnes vosgiennes et cheminées fumantes. En tête de convoi, la locomotive Napoléon, fabriquée par la André Koechlin et Compagnie (ancêtre de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques), se hisse dès lors au rang de symbole du savoir-faire mulhousien. En 1841, le Strasbourg-Bâle s’impose comme le premier trajet ferroviaire international. Plus d’un siècle plus tard, ces épisodes historiques participeront à la naissance du Musée Français du Chemin de fer de Mulhouse.

Anonyme, Nicolas Koechlin, gravure, s.d., Collection Cité du Train, conservée aux Archives Municipales de Mulhouse
Anonyme, Nicolas Koechlin, gravure, s.d., Collection Cité du Train, conservée aux Archives Municipales de Mulhouse
Médaille commémorative Louis-Philippe Ier roi des Français
Médaille commémorative Louis-Philippe Ier roi des Français
– Loi du 11 juin 1842, après 1842, Collection Cité du Train

Loi du 11 juin 1842

“Article 1er Loi relative à l’établissement de grandes lignes de Chemins de fer
Il sera établi un système de chemins de fer se dirigeant, 1° De Paris Sur la frontière de Belgique, par Lille et Valenciennes ;
Sur l’Angleterre, par un ou plusieurs points du littoral de la Manche, qui seront ultérieurement déterminés ;
Sur la frontière d’Allemagne, par Nancy et Strasbourg ;
Sur la Méditerranée, par Lyon, Marseille
et Cette ;
Sur la frontière d’Espagne, par Tours, Poitiers, Angoulême, Bordeaux et Bayonne ;
Sur l’Océan, par Tours et Nantes ;
Sur le centre de la France, par Bourges ;
2° De la Méditerranée sur le Rhin, par Lyon, Dijon et Mulhouse ;

de l’Océan sur le Méditerranée, par Bordeaux, Toulouse et Marseille.”

Promulguée par le roi Louis-Philippe, la loi du 11 juin 1842 redéfinit la carte de France. À travers ses dix-neuf articles, le texte dessine le futur réseau ferré à partir d’un point central : Paris. Simultanément à la confirmation de cette configuration répondant à l’expression d’“étoile de Legrand”, s’ajoute la mise en valeur de différentes dispositions financières et politiques. À titre d’exemple, contre la prise en charge de la construction d’une ligne par une compagnie, l’État s’engage à lui accorder le monopole sur son périmètre d’exploitation. Si cette loi accélère la spéculation et l’engagement d’acteurs tels que la Banque Rothschild, elle participe également à l’éclosion des principales compagnies ferroviaires qui perdureront jusqu’à la création de la SNCF en 1938.

 

Les premières compagnies

Jour après jour, le maillage ferroviaire s’épaissit et le rail tisse sa toile au bord des routes, à travers les forêts et par-dessus les rivières. Dans l’ensemble des départements français les lignes se multiplient et conjuguent le trafic de marchandises au transport de voyageurs. Au sein de cette révolution territoriale, technologique et sociale sans précédent, les entreprises se développent, se consolident, disparaissent ou s’allient. La lecture du Journal des chemins de fer et des progrès industriels, publié pour la première fois en 1842, permet aisément de mesurer ce phénomène d’ampleur. À la fin du Second Empire, les six principales compagnies ferroviaires confirment leur hégémonie. Il s’agit des compagnies du P.O. (Paris-Orléans, 1844), du Nord (1845), de l’Est (1845), du Midi (1852), de l’Ouest (1855), et du P.L.M. (Paris à Lyon et à la Méditerranée, 1857). Bien souvent modélisées par un code chromatique recouvrant chaque centimètre de la carte de l’Hexagone, ces dernières portent en elles le germe d’un extraordinaire patrimoine matériel et immatériel.

Anonyme, Carte générale des chemins de fer français, in Guide géographique des chemins de fer, Potier et Cie éditeurs, 1879, pp. 47-48, Collection Cité du Train
Anonyme, Carte générale des chemins de fer français, in Guide géographique des chemins de fer, Potier et Cie éditeurs, 1879, pp. 47-48, Collection Cité du Train

L’émergence d’une
identité cheminote

Le réseau ne peut se définir par le simple trio chemin, train, passagers. Il représente un système tentaculaire qui combine l’architecture des gares, des ateliers, des dépôts, des postes d’aiguillages à l’évolution des signaux et des matériels roulants. L’humain est par ailleurs indissociable de la technique et peut-être symbolisé par la diversité des métiers et des profils de voyageurs. Dans ce contexte, chaque compagnie développe une organisation, des valeurs et un univers esthétique qui lui sont propres. Les uniformes des personnels ferroviaires sont notamment révélateurs de ce fort sentiment d’appartenance.

Uniformes du personnel du chemin de fer de Saint-Germain et Versailles (1840), in Histoire de la locomotion terrestre : les chemins de fer, Charles Dollfus et Edgar de Geoffroy, 1935, p. 104, Collection Cité du Train
Anonyme, Uniformes du personnel du chemin de fer de Saint-Germain et Versailles (1840), in Histoire de la locomotion terrestre : les chemins de fer, Charles Dollfus et Edgar de Geoffroy, 1935, p. 104, Collection Cité du Train

Entre méfiance et fascination

Il serait faux d’affirmer que l’arrivée du chemin de fer provoque une réaction unanime chez les penseurs du XIXe siècle. À l’enchantement et l’optimisme se mêlent en effet peur, incrédulité, sarcasmes et parfois refus catégorique. Donné au Théâtre de la Porte Saint-Antoine, le vaudeville de Salvat et Henri intitulé Le Chemin de fer de Saint-Germain témoigne du discours caustique qui entoure dans un premier temps cette invention nouvelle décrite au sein de la pièce comme une simple “mode”. Dans ses Mémoires d’un touriste, Stendhal, logeant à Chalon-sur-Saône le 14 mai 1838, déplore lui-aussi la trop grande importance donnée aux productions de la “civilisation moderne” que sont “le Diorama et [l]es chemins de fer”.

Ironie de l’histoire, c’est cette même ville de Chalon qui accueillera plus d’un siècle plus tard les premiers trains préservés au titre du patrimoine en vue de la création du Musée Français du Chemin de Fer. Dès le début de l’aventure ferroviaire, le caractère historique et politique de ce mode de transport se manifeste au sein de la presse et de la littérature. Car défendre le train c’est aussi défendre un régime. C’est le cas de l’écrivain et critique Jules Janin, qui, proche du roi Louis-Philippe, n’hésite pas à souligner dans son Itinéraire du chemin de fer de Paris à Dieppe (1847) que “[l]a poésie du dix-neuvième siècle, il faut le dire, c’est la vapeur.”

« …Si tu t’ennuies d’en entendre parler (du chemin de fer), tu es tout à fait comme moi. Il m’est impossible d’entrer n’importe où, sans qu’on entende des gens qui disent : « Ah ! je m’en vais à Rouen ! Je viens de Rouen ! Irez-vous à Rouen ? Jamais la capitale de la Neustrie n’avait fait tant de bruit à Lutèce ! … »

– 9 juin 1843, correspondance de Gustave Flaubert à sa sœur Caroline Flaubert

Auguste Victor Deroy et Peulot sc., Vue de la ville de Rouen, après 1843, lithographie en couleurs, Collection particulière
Auguste Victor Deroy et Peulot sc., Vue de la ville de Rouen, après 1843, lithographie en couleurs, Collection particulière

Le train comme
sujet

Dans le domaine de la littérature, le train est à la fois vecteur et acteur. Le siècle, marqué par la naissance du concept de monuments historiques, est aussi celui des récits pittoresques. En réduisant le temps et les distances, le chemin de fer contribue largement à leur développement. Stendhal, George Sand, Gustave Flaubert ou encore Victor Hugo prennent le train et le racontent. Dans une célèbre lettre adressée le 22 août 1837 à Juliette Drouet, l’auteur de Notre-Dame-de-Paris narre ainsi sa découverte du chemin de fer belge. Comparant la locomotive à une “bête véritable”, Hugo lui attribue les caractéristiques du cheval : “il sue, il tremble, il siffle, il hennit, il se ralentit, il s’emporte”. L’étude des textes contemporains permet de relever que la personnification de la machine est monnaie courante. Le train est une créature sonore et odorante qui agite les sens. Dans ce cadre, comment ne pas citer Le Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne (1872) ou La Bête humaine de Zola (1890) ? Simultanément aux mots s’ajoutent les images. Monet, Courbet, Caillebotte, Van Gogh, Louis Lumière et tant d’autres dépeignent et filment eux-aussi le chemin de fer et hissent ce dernier au rang de sujet définitivement artistique.

Augustus Leopold Egg, Les compagnons de voyage, huile sur toile, 1862, conservé au Birmingham Museum and Art Gallery
Augustus Leopold Egg, Les compagnons de voyage, huile sur toile, 1862, conservé au Birmingham Museum and Art Gallery

Exposer l’industrie

Si le public peut découvrir le chemin de fer à travers les récits de ses contemporains ou par sa propre expérience de la mobilité, les expositions des produits de l’industrie française servent également de vitrine à l’évolution du chemin de fer. Organisées à Paris dès 1798, ces grandes manifestations valorisent les savoir-faire français dans des domaines aussi variés que le textile, l’ébénisterie ou encore la métallurgie. La lecture des rapports de jury nous offre dans ce cadre de précieuses indications quant à la représentation de l’industrie ferroviaire.

Anonyme, Objets et bibelots commémorant les premiers chemins de fer in Histoire de la locomotion terrestre
Anonyme, Objets et bibelots commémorant les premiers chemins de fer in Histoire de la locomotion terrestre : les chemins de fer, Charles Dollfus et Edgar de Geoffroy, 1935, p.42, Collection Cité du Train

En 1823 et 1827, les machines à vapeur présentées concernent essentiellement le domaine agricole. En 1839, un bouleversement a pourtant lieu : la section “chemins de fer et routes ordinaires” fait son apparition. Pour le rédacteur du rapport, et malgré l’inauguration des premières lignes, il est clair que le chemin de fer n’en est qu’à ses balbutiements. L’auteur souligne par ailleurs le retard pris dans cette course avec les voisins d’Outre-Manche. En 1844, la section s’enrichit d’une nouvelle catégorie intitulée “machines locomotives et chemins de fer-chemin de fer, rails et voitures”.
L’une des médailles d’or est alors attribuée à la Meyer et Cie de Mulhouse, à l’origine d’une locomotive, L’Espérance, livrée en 1842 pour la ligne Strasbourg-Bâle, suivie de près par la Mulhouse, réservée dès 1843 au chemin de fer de Paris à Versailles. La médaille d’argent revient quant à elle à l’atelier rouennais des Anglais Allcard et Buddicom, créateurs de la plus ancienne locomotive du continent européen actuellement conservée à la Cité du Train : la Buddicom de 1844.

Cinq ans plus tard, en 1849, le rapport du Jury se fait plus précis et il est dorénavant question de “construction de machines locomotives, wagons-freins, pièces et appareils divers”.
Alors que la société Derosne et Cail expose une locomotive système Crampton, d’autres entreprises s’attachent à présenter des éléments de voie, des dessins d’ateliers, des tampons pour voitures ou des machines imprimant des billets numérotés. Le public découvre alors la diversité du patrimoine ferroviaire.

Le Palais
de Cristal

En 1851, le phénomène des expositions de l’industrie devient universel. Sous la verrière du Crystal Palace de Londres imaginée par Joseph Paxton, les Anglais confirment leur primauté technique et commerciale. Temple de la Révolution industrielle, le bâtiment construit au cœur de Hyde Park accueille un grand nombre de pays venus présenter leurs dernières créations artistiques et manufacturières. Pour l’un des principaux rapporteurs britanniques, John Tallis, c’est la France qui offre, derrière le Royaume-Uni, l’exposition de la plus grande qualité. D’après l’auteur du compte rendu, les expositions des produits de l’industrie organisées par le passé à Paris portent leurs fruits : les objets présentés par les 1750 exposants révèlent un sens poussé du détail s’apparentant à ce que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de véritable “scénographie”. Dans ce contexte, le plan du palais nous informe qu’au rez-de-chaussée, à proximité de l’artère dédiée aux locomotives, un large stand valorise les “machines en mouvement”. De fait, la compréhension et la promotion des métiers à imprimer et à filer ne peuvent difficilement se passer de l’animation.

Galerie des machines à l’exposition Crystal Palace de Londres en 1851
Anonyme, Galerie des machines à l’exposition Crystal Palace de Londres en 1851, s.d., World History Archive

Les coulisses de 1855

« Les machines qui ne peuvent être mises en action sans être directement alimentées de combustibles; -les machines incommodes par le bruit, par les odeurs, ou par l’encombrement qu’elles entraîneraient. C’est ainsi que les machines locomotives à vapeur, les machines à clous, les appareils distillatoires, les machines à battre, ne pourront être admises dans les galeries qu’à l’état de machines en repos »

– Rapport sur l’Exposition universelle de 1855, Napoléon-Joseph-Charles-Paul Bonaparte, 1857

La manifestation londonienne a profondément marqué les esprits. Dans ce contexte, Paris se doit d’être à la hauteur. Quatre ans après le succès du Palais de Cristal, l’Hexagone inaugure à son tour sa première Exposition universelle. Le rapport rédigé par Napoléon-Joseph-Charles-Paul Bonaparte, cousin de l’Empereur, s’impose dans ce contexte comme un témoignage remarquable des préparatifs titanesques qu’a nécessité un tel événement. En effet, réunir autant d’exposants n’est pas une mince affaire, surtout quand il s’agit d’exposer des éléments aussi imposants que des matériels roulants. Le rédacteur souligne que l’organisation de la Galerie des machines a dans ce cadre engendré un certain nombre de compromis. L’auteur souligne notamment que les locomotives, dégageant bruits et odeurs, ne pouvaient être exposées que de manière statique.

Le train comme
espace d’apparat

Deux ans plus tard, alors que Londres inaugure son musée des Sciences, le train impérial révèle un aspect éminemment plus délicat du chemin de fer. Construit par la Compagnie du chemin de fer d’Orléans pour Napoléon III et son épouse Eugénie, cet ensemble se compose de six « wagons ». Exécutés sous la direction de l’ingénieur Camille Polonceau à partir des dessins d’Eugène Viollet-Le-Duc, ces espaces, véritables écrins, abritent salle à manger, office, salon des aides-de-camps, antichambre, salon d’honneur, chambre, cabinet de toilettes et garde-robe. Dans un ouvrage publié en 1857 par l’éditeur Bance, on apprend que cette composition a nécessité cinq mois de travail. Conservé à la Cité du Train, le salon n°6 des Aides-de-Camps témoigne de cette prouesse artistique. Restaurée dans les années 70 par les ateliers de Romilly, la voiture se distingue par sa livrée grenat et bleu d’outremer. L’aigle impérial et les colonnettes en bronze renforcent la préciosité de sa silhouette. À l’intérieur, les chiffres de l’Empereur se fondent dans un décor floral sophistiqué. Les essences de bois et les précieux textiles concourent au déploiement d’une atmosphère à la fois chaleureuse et solennelle. Symbolisant l’éclectisme alors en vogue, le salon n°6 s’impose dès lors comme un chef-d’œuvre en mouvement.

Visite virtuelle

Plan Élévation latérale du Train de Napoléon III,
Élévation latérale du Train de Napoléon III, s.d., Collection La Vie Du Rail

1867 et 1878 :
La gare et le mécanicien

Le chemin de fer ne peut être réduit au simple objet d’apparat ou de démonstration. Lors des Expositions universelles, il permet également de transporter un grand nombre d’exposants, d’objets et de visiteurs. Dans ce cadre, les négociations avec les compagnies sont de mise et participent au bon déroulé de l’événement. Lors de l’Exposition de 1867, le “chemin de fer de ceinture” est ainsi raccordé à l’une des entrées de l’exposition. 28 trains au départ et 31 à l’arrivée permettent au public de rejoindre la manifestation. Onze ans plus tard, lors de l’Exposition universelle de 1878, la gare du Champs-de-Mars est construite pour l’occasion. Parmi les visiteurs, un certain R. Martial, croquant la Galerie des machines, l’affirme, “[…] bientôt il n’y aura plus qu’un seul métier possible-celui de mécanicien.”

L’Exposition Universelle 1878 : Lettre illustrée
L’Exposition Universelle 1878 : Lettre illustrée, 1878, Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme, SMITH LESOUEF R-2315

Le jeu,
le conte et l’image

Le train nourrit un imaginaire qui s’étend peu à peu à la population enfantine. Conservé aux Archives de Mulhouse, le Jeu de l’oie des chemins de fer, créé par Ernest Henry vers 1855, en est un parfait exemple. Sur un plateau rythmé de vignettes emblématiques de l’imagerie d’Epinal, les joueurs sont invités à voyager d’une gare à l’autre. En 1872, un auteur de La Semaine des enfants : magasin d’images et de lectures amusantes et instructives, n’hésite pas à jouer de l’anachronisme. Dans un conte aux notes et décors renaissants, le chemin de fer fait une discrète apparition. S’adressant aux jeunes lecteurs, l’auteur rappelle en effet qu’en ces temps reculés, seuls les lents carrosses permettaient de rallier les contrées éloignées. Personnage mystérieux et bruyant, le train devient peu à peu objet pédagogique. Au lendemain des lois de Jules Ferry rendant l’instruction gratuite, laïque et obligatoire, les murs des classes et les manuels scolaires se peuplent peu à peu de locomotives. Simultanément, des sociétés comme Märklin, popularisent progressivement les modèles réduits. Entre trains-jouets et modèles de luxe, le loisir se mêle à la science.

Chemin de fer en miniature, établi pour le prince impérial dans le parc de Saint-Cloud en 1859
Anonyme, Chemin de fer en miniature, établi pour le prince impérial dans le parc de Saint-Cloud en 1859, in Histoire de la locomotion terrestre : les chemins de fer, Charles Dollfus et Edgar de Geoffroy, 1935, p. 97, Collection Cité du Train

Apprendre
le chemin de fer

Alors que le XIXe siècle voit se développer la vulgarisation scientifique, la diversité des métiers ferroviaires pousse les compagnies à organiser leurs méthodes d’apprentissage. Lors des Congrès internationaux des chemins de fer organisés à Milan en 1887 puis à Paris en 1889, la nécessité de créer des écoles spéciales est mise en exergue. Aux cours de géographie, de physique, d’arithmétique ou de langue française, s’ajoutent des leçons techniques relatives au dessin industriel, à la menuiserie, à la chaudronnerie ou à la forge. La maîtrise des outils et des maquettes pédagogiques s’impose dès lors comme des prérequis à la future vie professionnelle des jeunes cheminots. Conservées à la Cité du Train, maquettes de signaux et autres chefs-d’œuvre d’apprentis composent un corpus significatif de ce pan du patrimoine ferroviaire.

Ouvrage Chemins de fer de l’Est, ateliers d’Epernay, cours des apprentis, l’art naval, 1881
Léon Renard, Chemins de fer de l’Est, ateliers d’Epernay, cours des apprentis, l’art naval, Librairie Hachette et Cie, 1881, Collection Cité du Train

Fêter
le chemin de fer

Cinquante ans après l’inauguration de la ligne Paris-Saint-Germain-en-Laye, le bois de Vincennes se pare d’estrades pavoisées. Le 22 mai 1887, lâcher de pigeons et concerts rythment cette commémoration. Entaché par la faillite de la société civile organisatrice, cet événement international permet cependant aux rédacteurs du Journal des Débats de “feuilleter la vieille collection” du quotidien et de rappeler le déroulé de cet épisode historique que certains auraient peut-être oublié.

Exposition & fêtes internationales des Chemins de Fer, affiche
Exposition & fêtes internationales des Chemins de Fer, affiche pour le cinquantenaire des Chemins de Fer Français, 1887, Collection Cité du Train

Folklore
et paysages

La seconde moitié du XIXe siècle marque l’apogée du chemin de fer. En quelques décennies, le transport ferroviaire a fait son entrée définitive dans le quotidien d’un grand nombre de Français, devenus cheminots ou usagers réguliers. Car le train, peu à peu combiné au tramway et au funiculaire, permet d’aller toujours plus loin, au cœur des massifs comme au bord de la mer.

France Bourgogne, Morvan, Jura, Lyonnais, Guides-Joanne, Hachette et Cie, 1902
France Bourgogne, Morvan, Jura, Lyonnais, Guides-Joanne, Hachette et Cie, 1902, Collection Cité du Train

Participant au développement du tourisme, les compagnies rivalisent de créativité afin de faire la promotion de leurs destinations. Dans les gares, les affiches font leur apparition. Colorées, ces dernières répondent à un schéma récurrent : au centre, un paysage idyllique est parfois complété d’un personnage dont le costume symbolise la région ou l’idée que le public s’en fait. Au nom de la compagnie écrit en lettres grasses, s’ajoutent généralement des cartouches valorisant le coût réduit des billets.

Développés par la suite, les brochures et guides touristiques édités par les compagnies hissent celles-ci au rang de prescriptrices culturelles. Les Guides Joanne, déjà vendus dans les bibliothèques des chemins de fer gérées par la société Hachette, renforcent l’itinérance des voyageurs. En 1876, lors de la création de la Compagnie internationale des wagons-lits, le voyage pittoresque devient dépaysant.

A l’aube du XXe siècle, le chemin de fer s’impose comme un moyen de transport définitivement ancré dans le quotidien des Français. L’inauguration de la nouvelle gare d’Orsay en 1900 redessine dans ce contexte le paysage urbain. Car contrairement aux pavillons des expositions, cette infrastructure est faite pour durer. Au fil des Expositions universelles, les mètres linéaires dédiés au chemin de fer s’étendent par ailleurs de manière significative.

Au pied de
la Tour Eiffel,
le chemin de fer intérieur

“Mais si la Tour [Eiffel n.d.l.r.] et ses avoisinements font évoquer l’idée de jouets amoncelés en un bazar polychrome, on peut dire que c’est à cause même de cela que l’Exposition a pris ce caractère jovial, bon enfant et enfant, qui donne à tout un air de vacances et de congé, durant lesquels les foules réussissent à oublier les pensums de l’existence et les pénitences de la destinée. Je faisais ces réflexions, en constatant par quel succès a été accueilli ce petit chemin de fer à voie étroite, le “Decauville”, comme on dit, qui, franchement, regardez-le passer-est tout pareil à un jouet qui marche”.

Emile Goudeau, 1889, dans la Revue de l’Exposition universelle de 1889

Lors de l’Exposition de 1889, la classe 61 dédiée aux “matériels des chemins de fer” trouve sa place au sein de deux galeries principales complétées de quatre larges espaces. Voies et ponts tournants jalonnent cette surface ferroviaire. Le long de l’Avenue de Suresnes, une partie du chemin de fer intérieur dit “Decauville” permet de desservir restaurants et pavillons. Longue de trois kilomètres, cette structure imaginée par Adolphe Alphand joue un rôle primordial dans la découverte de l’exposition. Les gravures, cartes postales et photographies éditées cette année-là permettent de mesurer aisément le succès de cette voie étroite. Emprunté par un public international, le système Decauville confirme alors son efficacité et accélère la mode du “petit train”, encore largement plébiscité par les visiteurs actuels de la Cité du Train.

Pour Maurice Bixio, rédacteur de l’introduction de la Notice sur l’Exposition centennale des moyens de transport de 1900, “le XIXe siècle est certainement celui qui a vu se produire le plus colossal développement des moyens de parcourir la terre, soit dans une ville, soit dans un pays, soit dans le monde entier.”

Le musée rétrospectif de 1900

En 1900, non loin du Château d’eau du Champs-de-Mars, au sein du Palais des Transports, la classe 32 consacrée aux chemins de fer et aux tramways se confronte à la carrosserie, à la sellerie, à la navigation de commerce et à l’aérostation. Complétant les éléments techniques, tableaux, gravures et photographies sont également exposés. Dans les textes contemporains, le terme de “musée rétrospectif” est ainsi employé à de multiples reprises. Dans ce contexte, il est précisé que le modèle de la première locomotive à chaudière tubulaire de ligne Saint-Étienne à Lyon est “obligeamment” prêté par les Arts et Métiers. À proximité, sur les cimaises, entre les armatures métalliques, vitrines et cadres se multiplient. L’objectif est alors de “former un ensemble plus attrayant à l’œil” et “d’intéresser le public, autant par le côté amusant que par le côté instructif.” Cent ans avant la publication de la Loi Musée de 2002 et de son article L. 410.-1, les notions de “connaissances, éducation et plaisir du public” sont déjà posées.

Exposition Universelle Internationale de 1900 // Palais du génie civil et des moyens de transports
Exposition Universelle Internationale de 1900 // Palais du génie civil et des moyens de transports (Champ de Mars -Côté de l’avenue de Suffren) / Musée centennal des moyens de transport. Photo : Louis Larger, Musée Carnavalet, Histoire de Paris

L’Annexe de Vincennes

Mais le Champs-de-Mars ne suffit pas pour abriter l’ensemble des matériels ferroviaires. Émanant de nombreux pays, les propositions se multiplient et il faut pouvoir accueillir l’ensemble des exposants. C’est dans ce contexte qu’est construite l’Annexe du bois de Vincennes où est notamment exposée une BB 1280 ou “boîte à sel”, première locomotive électrique dont un modèle est aujourd’hui exposé à la Cité du Train.

Exposition Universelle Internationale de 1900 // Hall des chemins de fer
Exposition Universelle Internationale de 1900 // Hall des chemins de fer / (annexe du Bois de Vincennes). Larger, Louis, Photographe. Musée Carnavalet, Histoire de Paris, G.31685, CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet –Histoire de Paris

La coupe-vent, un fantasme industriel

“J’étais amoureux de douze locomotives à vapeur. ces ravissants engins, en 1905 ; étaient déjà aérodynamiques. C’étaient les magnifiques coupe-vent du PLM. Elles sont restées célèbres dans l’histoire du rail. Elles sont classées parmi les locomotives les plus harmonieuses qui aient jamais été construites et elles eurent une influence certaine sur ma vie tout entière. Je rôdais autour du dépôt et, bientôt, je devins très copain avec les équipes. Je leur apportais des cigarettes Caporal et quelquefois, des cigares.”

Raymond Loewy, La Laideur se vend mal, 1965

1900. Les recherches liées à l’aérodynamisme font leur entrée dans le monde ferroviaire. Les nez des locomotives 220 C du PLM, rebaptisées “coupe-vent”, témoignent de ce mouvement.

En 1965, l’hommage qui leur est rendu par le célèbre designer Raymond Loewy dans son ouvrage La Laideur se vend mal élève ces matériels roulants au rang de véritables objets de design.

Locomotive “Coupe-Vent” C145 PLM (1900), carte postale
Locomotive “Coupe-Vent” 220 C 145 PLM (1900), s.d., carte postale collection Orion,
photo : M. Lamarche, Collection Cité du Train

« Nous ne saurions terminer ces lignes sans nous faire les interprètes du vœu général que nous avons recueilli de la bouche des visiteurs. L’Exposition rétrospective des moyens de transport a eu incontestablement un très grand succès, et nous avons entendu maintes et maintes fois exprimé le regret qu’on n’ait point encore organisé un Musée permanent qui pourrait être intéressant. »

Maurice Bixio, Introduction à la Notice sur l’Exposition centennale des moyens de transport, 1901

Synthèse d’une réflexion patrimoniale en marche dès les débuts du chemin de fer, cette citation de Maurice Bixio confirme une nécessité : celle de conserver et de valoriser le patrimoine ferroviaire, emblème de progrès technique, d’inspiration artistique et d’histoire collective. Soixante-quinze ans après, alors que les plus anciens se souviennent de 1900, les enfants eux rêvent de l’an 2000.

vignette vidéo INA que reste-il de 1900 ?
Claude Jean Philippe, Monique Lefebvre, Que reste-t-il de 1900 ?, Antenne 2, 28 décembre 1975, vidéo INA

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