"Les Archives de Mulhouse sont un maillon de la chaîne du partage de la mémoire."
C’est à l’aube des années 1990 que Jean-Mathis Horrenberger, premier président du Musée Français du Chemin de Fer, dépose le fonds documentaire et archivistique de l’établissement au Centre d’Études et de Recherche sur les ARchives Économiques (CERARE), fondé en 1982. Depuis la dissolution de cette association en 2009, les Archives municipales de Mulhouse gèrent ce fonds historique. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la nature de ce dernier ?
En termes de quantité, ce fonds est considérable puisqu’il fait près de 300m linéaires. Il provient notamment de dons ou d’achats par le musée, il s’agit d’une collection extrêmement riche. On y trouve des documents très différents et complémentaires les uns par rapport aux autres. On peut citer la collection de Charles Dollfus, historien des transports et premier conservateur du Musée de l’Air. Celle-ci a été acquise par l’association du Musée Français du Chemin de Fer et la ville de Mulhouse en 1972, et porte sur les moyens de transports au XIXe siècle et les chemins de fer anciens. Pour tout historien qui s’intéresse à la question, cette source est vraiment intéressante. Une autre partie du fonds est exceptionnelle : les documents traitant de la construction des chemins de fer d’Indochine et du Yunnan, qui constitue une des rares sources écrites sur la constitution des activités ferroviaires en terres coloniales. On y trouve notamment une fantastique collection photographique !
Quels en sont les documents les plus consultés ?
Deux pôles sont particulièrement plébiscités. Le fonds photographique tout d’abord, repéré par le français Yvan Velot, installé en Chine, dont l’enthousiasme et la détermination ont permis de valoriser ces documents à travers une exposition qui s’est hélas tenue juste avant le premier confinement. Une équipe de télévision chinoise s’était même déplacée aux Archives de Mulhouse afin d’y faire des prises de vue pour l’occasion.
Les plans techniques sont également très consultés. Nous avons très régulièrement des demandes d’associations qui œuvrent pour la restauration de locomotives et trouvent dans notre fonds une matière fondamentale. L’Amicale des Anciens et Amis de la Traction Vapeur, par exemple, restaurent une Pacific à Saint-Pierre-des-Corps à partir de ces plans techniques. Ces derniers mènent un travail de consultation et de numérisation tout à fait remarquable. D’autres associations de bénévoles passionnés, comme celle de Oignies, viennent régulièrement consulter ces sources.
Qui sont les chercheurs qui s’intéressent à ce fonds ?
Souvent des bénévoles passionnés qui viennent partager leur enthousiasme. Nous apprenons beaucoup de choses à leur contact. Mais ils ne sont pas les seuls à parcourir cette riche documentation. En 2016, à l’occasion de l’exposition “Mulhouse Gare Centrale”, les universitaires s’étaient mobilisés sur la question du train autour de Nicolas Stoskopf, auteur de l’ouvrage de référence Le Train, une passion alsacienne (2012). Archives de Mulhouse et Bibliothèque Municipale avaient coordonné leurs forces pour organiser cette exposition à la gare.
Outre les expositions, ce fonds est-il aussi valorisé à travers des publications ?
Nicolas Stoskopf est venu le consulter pour la rédaction de son ouvrage, mais il faut reconnaître que cela est moins fréquent. Les publications spécialisées sont fondamentales pour faire avancer la connaissance et la partager. Il ne s’agit pourtant pas du seul mode de valorisation possible. Ce sont principalement des passionnés d’histoire ferroviaire qui exploitent cette matière pour concrétiser leurs projets. Lorsque des bénévoles viennent de Saint-Pierre-des-Corps, du Nord ou d’ailleurs pour se rendre aux Archives, ils font vivre leur travail : il y a des articles dans la presse, sur les sites internet des associations, très vivants et très dynamiques …
Quels sont les liens entre les Archives de Mulhouse et la Cité du Train à l’heure actuelle ?
On travaille autant que possible de façon coordonnée : nous avons en charge la conservation du fonds, la rédaction des inventaires, les recherches formulées auprès de notre service pour trouver les documents demandés. La gestion des éventuels droits de reproduction est une autre partie importante du travail. Puisque ce fonds est un dépôt, le musée en est toujours propriétaire. S’il est possible de communiquer sans protocole particulier, la reproduction est soumise à l’autorisation de la Cité du Train. Les Archives remplissent leur rôle de conservation et de communication dans des conditions optimales, dans une salle de lecture avec des règles de sécurité destinées à protéger les sources. Il est aussi question de les classer et de les décrire dans un inventaire pour en faciliter l’accès. La Cité du Train, propriétaire des droits, est tenue informée du devenir du fonds d’archives qui nous a été confié. Pour nous, c’est une responsabilité et une marque de confiance.
Il faut aussi être en mesure de répondre aux sollicitations des équipes du musée autour de l’organisation des archives conservées à la Cité du Train et des programmes de numérisation. En ce sens, nous avons une activité de conseil lorsque sont formulées des questions techniques sur l’organisation des archives ou la documentation à la Cité du Train elle-même. Notre mission première est de conseiller des services producteurs pour favoriser l’organisation et la bonne conservation de leur documentation en interne.
Les Archives de Mulhouse ont donc un rôle d’accompagnement, en quelque sorte …
Nous proposons un suivi et apportons notre aide ponctuellement sur de grosses opérations de communication ou de recherche. Notre objectif est de faire en sorte que les gens se rencontrent, qu’ils soient amateurs de chemins de fer ou chercheurs universitaires. Les Archives servent d’intermédiaire et sont un maillon de la chaîne de partage de la mémoire.
Mulhouse est intimement lié à l’histoire des chemins de fer. On pense bien sûr à l’inauguration de la ligne Mulhouse-Thann en 1839, à la naissance de la SACM et à l’ouverture du Musée Français du Chemin de Fer en 1971. D’après vous, que représente le musée pour la ville et ses habitants ?
Avoir le musée à Mulhouse est vraiment une chance, et je voudrais qu’on s’en rende compte ! Pour la petite histoire, j’ai des amis stéphanois passionnés par le monde ferroviaire, et ils sont très déçus de ne pas avoir le musée dans leur ville – car il en était question au moment de la constitution de la collection. Des gens ont dû se battre pour que ce musée soit à Mulhouse, pour qu’on le fasse vivre, pour qu’on le fasse partager. La première idée qui me vient à l’esprit, c’est cette chance d’avoir réussi à installer la Cité du Train à Mulhouse. Pour le rayonnement culturel de la ville et l’histoire des chemins de fer, c’est une chance qu’il ne faut pas oublier.
Pour terminer, avez-vous un souvenir ou une anecdote sur le musée à partager ?
Ce qui ne cessera jamais de m’enthousiasmer, c’est de voir les bénévoles partager leur passion. J’ai apporté avec moi un petit cadeau offert par le Centre de la Mine et du Chemin de Fer de Oignies, une maquette qui témoigne de la reconnaissance qu’ont les passionnés envers notre service, pour avoir conservé ces archives et leur permettre de les consulter dans les meilleures conditions possibles. Certains sont de véritables amis des Archives, ils viennent régulièrement et échangent avec nous en faisant preuve d’une vraie sympathie. Cette dimension humaine, l’enthousiasme de ces chercheurs, c’est ce qui me marque le plus.